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mardi 12 novembre 2019

Topo établissements distincts


Dugast Astrée et Perragin Clémence
« Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». La notion d'établissement distinct est l'une des traductions du principe de participation garanti par l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. L’établissement permet d’épouser les différentes communautés de travail ayant des intérêts propres et distincts les uns des autres en fonction de leurs métiers, des lieux de travail, des conditions de travail, etc.
L’établissement s’inscrit dans le cadre de l’entreprise. Une entreprise peut être organisée de manière plus ou moins centralisée, et comporter plusieurs sous-structures. A certaines conditions, ces divisions peuvent être juridiquement qualifiées « d’établissements distincts ». L’établissement distinct ne possède pas de personnalité juridique propre. Selon le rapport du ministère du travail, « CSE - 100 questions-réponses », publié le 19 avril 2018 à la suite des ordonnances du 22 septembre 2017, l’enjeu principal du découpage de l’entreprise en établissement est d’assurer à l’ensemble du personnel la représentation. Or, ces ordonnances ont refondu le paysage des institutions représentatives, auquel la notion d’établissement distinct est subordonnée, avec d’une part, la représentation syndicale dans l’entreprise, et, d’autre part, la représentation élue dans l’entreprise constitué d’une institution unique, le comité social et économique.  C’est pourquoi, pour assurer la représentation de tous les salariés, il faut soit regrouper des établissements entre eux, soit rattacher des établissements sans représentation à d’autres établissements déjà dotés d’institutions représentatives du personnel (arrêt de la chambre sociale du 30 mai 2001[1] et arrêt de la chambre sociale du 7 décembre 2016). Etant précisé que la notion d’établissement distinct est une fiction juridique, la conception physique est totalement absente.  
L’établissement distinct n’a pas de définition unique. Elle épouse une conception « sociale » lorsqu’il s’agit de désigner un délégué syndical au sein de l’établissement. A l’inverse, elle embrasse une conception « fonctionnelle » lorsqu’il s’agit de mettre en place le comité social et économique et désigner les délégués du personnel au CSE.
I. La notion d’établissement distinct pour la désignation d’un délégué syndical
La notion d’établissement distinct a fait l’objet d’une longue période d’hésitation que le législateur est venu entériner par l’inscription de sa définition dans le Code du travail, à l’alinéa 4 de l’article L.2143-3, issu de la loi du 5 mars 2014.
A. Notion initiale de l’établissement distinct
Initialement, la cour de cassation a admis l’existence d’établissement distinct dès lors que sa reconnaissance était nécessaire pour l’exercice des fonctions dévolues aux délégués syndicaux. Dans un premier temps, elle dégage des indices de qualification dont l’existence d’un représentant de l’employeur doté de certain pouvoir[2], une individualisation géographique[3] ou encore la spécificité de l’établissement concerné[4].
Dans un second temps, dans un arrêt du 20 mars 1991, la chambre sociale de la haute juridiction avait adopté une définition de l’établissement distinct pour la désignation du délégué syndical semblable à celle adoptée en matière de délégué du personnel.[5]
« Pour la désignation d’un délégué syndical, l’établissement distinct se définit comme un groupe de salariés ayant des intérêts communs et travaillant sous une direction unique peu important que la gestion du personnel soit centralisée à un autre niveau dès lors qu’il existe sur place un représentant de l’employeur qualifié pour recevoir des réclamations et transmettre celles auxquelles il ne pourrait pas donner suite ».
Dans un arrêt du 24 avril 2003, la chambre sociale définie de nouveau sa définition et précise que caractérise « un établissement distinct permettant la désignation de délégués syndicaux, le regroupement sous la direction d'un représentant de l'employeur, d'au moins cinquante salariés constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres susceptible de générer des revendications communes et spécifiques, peu important que le représentant de l'employeur ait le pouvoir de se prononcer sur ces revendications ».
L’objectif poursuivi par cette définition particulière de l’établissement distinct dans le cadre de la désignation du délégué syndical s’inscrit dans la volonté de développer l’action syndicale de proximité, au plus près des salariés dès lors qu’il existe une communauté de travail, ayant des intérêts propres susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques et ce, peu important que le représentant de l’employeur ait le pouvoir de se prononcer sur ces revendications.
Eu égard à l’importance de cette définition, elle fut reprise par le ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement dans le cadre de l’application de ses attributions (circulaire DRT, n° 2006-04, 20 mars 2006).
B. Impact de la loi de 2008
La loi du 20 aout 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail  a permis de renforcer le rôle des délégués syndicaux dans le cadre des négociations collectives. Elle fait dépendre la  désignation d'un délégué syndical de ses résultats et de ceux de son syndicat au premier tour des élections des titulaires au comité d'entreprise ou comité d’établissement et renforce le principe de concordance.
La définition retenue précédemment par la jurisprudence est apparue alors inadaptée puisqu’elle s’inscrivait dans l’idée selon laquelle le délégué syndical exerce une activité syndicale de terrain, nonobstant le périmètre du comité d’entreprise ou d’établissement.
La loi de 2008 n’a cependant pas modifié la définition de l’établissement distinct laissant une nouvelle fois aux juridictions le soin de le faire.
Dans l’arrêt du 18 mai 2011, la cour de cassation prévoit, par déduction, que les dérogations à la coïncidence entre les cadres d’exercice des mandats de CE et de DS (donc des notions d’établissement) ne peuvent procéder que d’accord collectifs, en aucun cas d’usages ou d’engagement unilatéraux de l’employeur. Le périmètre ne peut être plus restreint[6].
Critique : L’adoption de cette nouvelle définition de l’établissement distinct pour la désignation du délégué syndical, élargissant le cadre de son mandat, posait problèmes pour l’exercice par celui-ci de ses attributions. Le délégué syndical voyait ses fonctions étendues sur un espace trop vaste qu’il ne pouvait couvrir en raison, par exemple, de crédits d’heures de délégation insuffisants.

C. Apport de la loi du 5 mars 2014 :
Par la loi du 5 mars 2014, le législateur inscrit la définition de l’établissement distinct pour l’exercice du droit syndical à l’alinéa 4 de l’article L.2143-3 du Code du travail. Cette nouvelle définition correspond à celle qui avait été donné avant la loi de 2008 par la jurisprudence.
« L’établissement regroupant des salariés placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques ».
Dans un arrêt de la chambre sociale du 31 mai 2016[7], la Cour de cassation a jugé cette définition comme étant d’ordre public permettant ainsi son application immédiate malgré l’existence d’accord contraire antérieur. Un accord antérieur à la loi ne saurait imposer un autre périmètre.
L’accent est ainsi placé sur la spécificité de l’établissement (conditions de travail, processus de production, éloignement géographique etc.). La présence permanente d’un représentant de l’employeur dans l’établissement n’est même pas exigée (arrêt ch. soc. 8 juillet 2015).
II. La notion d’établissement distinct pour la mise en place du CSE
 Selon l’article L 2311-2 et l’article 2313-1, un comité social et économique est  mis en place dans les entreprises d’au moins 11 salariés. Pour les entreprises constitués « d’au moins cinquante salariés et comportant au moins deux établissements distinct »[8], un comité social et économique d’établissement est mis en place au niveau de l’établissement et un comité social et économique central d’entreprise est mis en place au niveau de l’entreprise.
A. Avant l’ordonnance du 22 septembre 2017 
 Dès l’origine, les critères de l’établissement distinct ont été posés par la circulaire n°11 du 14 juin 1945, abrogé par la circulaire DRT du 17 mars 1993, sur le fondement de l’ancien article L 2327-15 du code du travail (également abrogé par l’ordonnance du 22 septembre 2017). A ce moment, l’effectif de l’établissement était une condition pour reconnaitre celui-ci d’établissement distinct.
A la suite de cette abrogation, trois critères ont été dégagés par la jurisprudence du conseil d’état, dans un arrêt du 29 juin 1973[9], Cie des Wagons-lits, pour reconnaître l’existence d’un établissement distinct :
  • ·      Implantation géographique distinctes
  • Une Stabililté 
  • Degré d’autonomie apprécié par rapport à la compatibilité de l’entreprise (bilan et compte de résultat), l’exécution du service et surtout, le pouvoir de gestion du représentant de l’employeur concernant le personnel et l’organisation du travail. 
Confirmation de l’arrêt de 1973 => Soc, 1er juin 1979 et CE, 6 mars 2002
 « SI LES INSPECTIONS, SECTIONS, GROUPES DE SECTIONS ET D'INSPECTIONS ET SERVICES QUE LE SYNDICAT REQUERANT VOUDRAIT VOIR DOTER DE COMITES D'ETABLISSEMENTS PROPRES ONT BIEN UNE IMPLANTATION GEOGRAPHIQUE DISTINCTE ET PRESENTENT UN CERTAIN CARACTERE DE STABILITE, ILS NE POSSEDENT, EN REVANCHE, AUCUNE COMPTABILITE PROPRE ET NE PRESENTENT QU'UN DEGRE D'AUTONOMIE TRES REDUIT TANT EN CE QUI CONCERNE LA GESTION DU X... QUI Y EST AFFECTE QU'EN CE QUI A TRAIT A L'EXECUTION DU SERVICE »
Dans un arrêt du 15 mai 1991, le conseil d’Etat prévoit, contrairement à la circulaire de 1945, que la qualification d’établissement distinct  ne dépend pas de l’effectif de cet établissement. En revanche, le conseil d’Etat précise, dans un arrêt du 19 octobre 1992, que l’effectif constitue un indice pour apprécier le degré d’autonomie de l’établissement.
Concernant le mode de reconnaissance de l’établissement distinct : Les anciens articles L.2322-5 et L.2327-7 du Code du travail prévoient que le découpage de l'entreprise en établissements est en principe de la compétence des partenaires sociaux (le chef d'entreprise et les organisations syndicales représentatives au niveau de l'entreprise). Si aucun accord n’a été rendu possible, il appartient alors au directeur départemental du travail et de l'emploi dans le ressort duquel se trouve le siège de l'entreprise de fixer le nombre d'établissements distincts où pourront être mis en place des comités d'établissement.
La conception de l’établissement distinct qui prévalait en jurisprudence administrative relative au comité d’établissement s’appliquait au CHSCT (arrêt de la chambre sociale du 29 janvier 2003).
B. Impact de l’ordonnance du 22 septembre 2017 :
L’ordonnance du 22 septembre 2017 a modifié les modalités et conditions de reconnaissance des établissements distincts pour la mise en place du CSE. Le rapport du ministère du travail rappel également que la création d’un CSE d’établissement dépend de l’effectif de l’entreprise et non de celui de l’établissement. En outre, cette notion d’établissement distinct est encadrée par les articles L 2313-1 à L 2313-6 du code du travail.
Désormais, la reconnaissance du nombre et du périmètre de l’établissement distinct se fait prioritairement par un accord d’entreprise signé entre l’employeur, ou son représentant, et les syndicats représentatifs ayant recueilli plus de la moitié des suffrages lors des dernières élections professionnelles (article L 2313-2 sur renvoi à l’article L 2232-12). Il a été prévu qu’il n’était pas possible, si ce seuil n’est pas atteint, d’avoir recours à un referendum dans le cas où cet accord aurait été signé par un ou plusieurs syndicats ayant obtenu plus de 30% des suffrages seulement. En cas d’accord, la loi n’impose pas de critère spécifique et le nombre ainsi que le périmètre des établissements distincts peuvent être librement déterminés par les partenaires sociaux (il est donc possible de déroger à l’article L 2313-4).
Selon l’article L 2313-3, à défaut d’un tel accord et en l’absence d’un délégué syndical, la reconnaissance des établissements distincts se fait par le biais d’un accord signé au sein du CSE avec la majorité des membres titulaires et l’employeur. Etant précisé que même en cas d’échec des négociations entre les partenaires sociaux sur l’accord d’entreprise, la négociation avec le CSE n’est pas possible ; ce n’est qu’en l’absence de délégué syndical que cette voie est ouverte
En outre, en cas d’évolution de l’organisation de l’entreprise, notamment en cas de fusion-absorption, cet accord peut être modifié selon  les règles de révision des accords collectifs prévus aux articles L 2262-7-1 et suivant.
Si aucun accord n’a pu être conclu, l’employeur peut procéder unilatéralement à la division de l’entreprise en établissements distincts. Selon l’article L.2313-4 du Code du travail, l’employeur doit néanmoins tenir compte « de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel ». Cet article s’inscrit dans la lignée de décision prise par le Conseil d’Etat concernant le critère de l’autonomie du chef d’établissement.
Dans un arrêt du 17 avril 2019[10], la chambre sociale de la Haute juridiction précise que «  ce n’est que lorsque, à l’issu d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut fixer par décision unilatérale le nombre et le périmètre des établissements distincts ». La cour de cassation exige alors la satisfaction au principe de bonne foi de la part de l’employeur, des partenaires sociaux et des délégués du personnel au CSE.  
De plus, dans un arrêt du 19 décembre 2018[11], la chambre sociale de la Cour de cassation renforce cet aspect et précise que l’établissement qui présente « notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service » est un établissement distinct.
La Cour de cassation invite à examiner si le responsable d’établissement dispose de prérogatives importantes en matière sociale, économique et financière au regard des délégations de compétences qui lui sont accordées.
L’article L.2313-5 du Code du travail prévoit qu’un recours contre la décision unilatérale de l’employeur peut être formé devant la DIRECCTE du siège de l’établissement dans un délai de 15 jours à compter de la date d’information des organisations syndicales représentatives et des organisations syndicales ayant constituées une section syndicale (article R 2313-1).
La DIRECCTE a 2 mois pour se prononcer. Depuis la loi Travail du 8 aout 2016 qui pose la compétence du juge judiciaire en matière de contestation de la DUE, cette décision administrative peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal d’instance.


Astrée Dugast et Clémence Perragin


[1] Soc, 30 mai 2001, 00-60.006 : Le découpage en établissement distinct ne peut avoir effet de privé un centre d’activité de représentation ; ce centre doit être rattaché à un établissement déjà reconnu.
[2] Soc, 16 janvier 1985, 84-60.384 
[3] Soc, 28 février 1989, 88-60.146
[4] Soc, 23 avril 1986, 85-60.723
[5] Soc, 10 octobre 1990, 90-60.014
[6] E.Clément, La définition légale de l'établissement distinct, périmètre de la désignation des délégués syndicaux, Dalloz, 2014
[7] Soc, 31 mai 2016, 15-21.175
[8] Soc, 15 janvier 2002, 00-60.326 : Dès lors qu’est reconnue, au sein d’une entreprise, l’existence d’établissement distinct, il en résulte que l’entreprise en comporte au moins deux.
[9] CE, 29 juin 1973, n°77782, Compagnie internationale des Wagons lits : Définition de la notion d’établissement distinct
[10] Soc, 17 avril 2019, 18-22.948 : Principe de bonne foi exigé
[11] Soc, 19 décembre 2018, 18-23.655

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