Dugast Astrée et Perragin Clémence
« Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la
détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des
entreprises ». La notion d'établissement distinct est l'une des
traductions du principe de participation garanti par l'alinéa 8 du Préambule de
la Constitution du 27 octobre 1946. L’établissement permet d’épouser les différentes
communautés de travail ayant des intérêts propres et distincts les uns des
autres en fonction de leurs métiers, des lieux de travail, des conditions de
travail, etc.
L’établissement s’inscrit dans le
cadre de l’entreprise. Une entreprise peut être organisée de manière plus ou
moins centralisée, et comporter plusieurs sous-structures. A certaines
conditions, ces divisions peuvent être juridiquement qualifiées
« d’établissements distincts ». L’établissement distinct ne possède
pas de personnalité juridique propre. Selon le rapport du ministère du travail,
« CSE - 100 questions-réponses »,
publié le 19 avril 2018 à la suite des ordonnances du 22 septembre 2017, l’enjeu
principal du découpage de l’entreprise en établissement est d’assurer à
l’ensemble du personnel la représentation. Or, ces ordonnances ont refondu le
paysage des institutions représentatives, auquel la notion d’établissement
distinct est subordonnée, avec d’une part, la représentation syndicale dans
l’entreprise, et, d’autre part, la représentation élue dans l’entreprise
constitué d’une institution unique, le comité social et économique. C’est pourquoi, pour assurer la représentation
de tous les salariés, il faut soit regrouper des établissements entre eux, soit
rattacher des établissements sans représentation à d’autres établissements déjà
dotés d’institutions représentatives du personnel (arrêt de la chambre sociale
du 30 mai 2001[1] et arrêt
de la chambre sociale du 7 décembre 2016). Etant
précisé que la notion d’établissement distinct est une fiction juridique, la
conception physique est totalement absente.
L’établissement distinct n’a pas
de définition unique. Elle épouse une conception « sociale »
lorsqu’il s’agit de désigner un délégué syndical au sein de l’établissement. A
l’inverse, elle embrasse une conception « fonctionnelle » lorsqu’il
s’agit de mettre en place le comité social et économique et désigner les
délégués du personnel au CSE.
I. La notion d’établissement distinct
pour la désignation d’un délégué syndical
La notion d’établissement
distinct a fait l’objet d’une longue période d’hésitation que le législateur est
venu entériner par l’inscription de sa définition dans le Code du travail, à l’alinéa
4 de l’article L.2143-3, issu de la loi du 5 mars 2014.
A. Notion
initiale de l’établissement distinct
Initialement, la cour de
cassation a admis l’existence d’établissement distinct dès lors que sa
reconnaissance était nécessaire pour l’exercice des fonctions dévolues aux
délégués syndicaux. Dans un premier temps, elle dégage des indices de
qualification dont l’existence d’un représentant de l’employeur doté de certain
pouvoir[2],
une individualisation géographique[3]
ou encore la spécificité de l’établissement concerné[4].
Dans un second temps, dans un
arrêt du 20 mars 1991, la chambre sociale de la haute juridiction avait adopté
une définition de l’établissement distinct pour la désignation du délégué
syndical semblable à celle adoptée en matière de délégué du personnel.[5]
« Pour la désignation d’un délégué syndical, l’établissement distinct se
définit comme un groupe de salariés ayant des intérêts communs et travaillant
sous une direction unique peu important que la gestion du personnel soit
centralisée à un autre niveau dès lors qu’il existe sur place un représentant
de l’employeur qualifié pour recevoir des réclamations et transmettre celles
auxquelles il ne pourrait pas donner suite ».
Dans un arrêt du 24 avril 2003, la
chambre sociale définie de nouveau sa définition et précise que caractérise
« un établissement distinct
permettant la désignation de délégués syndicaux, le regroupement sous la
direction d'un représentant de l'employeur, d'au moins cinquante salariés
constituant une communauté de travail ayant des
intérêts propres susceptible de générer des revendications communes et
spécifiques, peu important que le représentant de l'employeur ait le
pouvoir de se prononcer sur ces revendications ».
L’objectif poursuivi par cette
définition particulière de l’établissement distinct dans le cadre de la
désignation du délégué syndical s’inscrit dans la volonté de développer l’action
syndicale de proximité, au plus près des salariés dès lors qu’il existe une
communauté de travail, ayant des intérêts propres susceptibles de générer des
revendications communes et spécifiques et ce, peu important que le représentant
de l’employeur ait le pouvoir de se prononcer sur ces revendications.
Eu égard à l’importance de cette
définition, elle fut reprise par le ministère de l'Emploi, de la Cohésion
sociale et du Logement dans le cadre de l’application de ses
attributions (circulaire DRT, n° 2006-04, 20 mars 2006).
B. Impact
de la loi de 2008
La loi du 20 aout 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et
réforme du temps de travail a permis de renforcer le rôle des délégués
syndicaux dans le cadre des négociations collectives. Elle fait dépendre
la désignation d'un délégué syndical de ses résultats et de ceux de son syndicat au
premier tour des élections des titulaires au comité d'entreprise ou comité
d’établissement et renforce le principe de concordance.
La définition retenue précédemment par la jurisprudence est apparue
alors inadaptée puisqu’elle s’inscrivait dans l’idée selon laquelle le délégué
syndical exerce une activité syndicale de terrain, nonobstant le périmètre du
comité d’entreprise ou d’établissement.
La loi de 2008 n’a cependant pas modifié la définition de
l’établissement distinct laissant une nouvelle fois aux juridictions le soin de
le faire.
Dans l’arrêt du 18 mai 2011, la
cour de cassation prévoit, par déduction, que les dérogations à la coïncidence
entre les cadres d’exercice des mandats de CE et de DS (donc des notions
d’établissement) ne peuvent procéder que d’accord collectifs, en aucun cas
d’usages ou d’engagement unilatéraux de l’employeur. Le périmètre ne peut être
plus restreint[6].
Critique : L’adoption
de cette nouvelle définition de l’établissement distinct pour la désignation du
délégué syndical, élargissant le cadre de son mandat, posait problèmes pour
l’exercice par celui-ci de ses attributions. Le délégué syndical voyait ses
fonctions étendues sur un espace trop vaste qu’il ne pouvait couvrir en raison,
par exemple, de crédits d’heures de délégation insuffisants.
C. Apport
de la loi du 5 mars 2014 :
Par la loi du 5 mars 2014, le
législateur inscrit la définition de l’établissement distinct pour l’exercice
du droit syndical à l’alinéa 4 de l’article L.2143-3 du Code du travail. Cette
nouvelle définition correspond à celle qui avait été donné avant la loi de 2008
par la jurisprudence.
« L’établissement regroupant des salariés
placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une
communauté de travail ayant des intérêts propres susceptibles de générer des
revendications communes et spécifiques ».
Dans un arrêt de la chambre
sociale du 31 mai 2016[7],
la Cour de cassation a jugé cette définition comme
étant d’ordre public permettant ainsi son application immédiate malgré
l’existence d’accord contraire antérieur. Un accord antérieur à la loi ne
saurait imposer un autre périmètre.
L’accent est ainsi placé sur la
spécificité de l’établissement (conditions de travail, processus de production,
éloignement géographique etc.). La présence permanente d’un représentant de
l’employeur dans l’établissement n’est même pas exigée (arrêt ch. soc. 8
juillet 2015).
II. La notion d’établissement distinct pour la mise en place du CSE
Selon l’article L 2311-2 et
l’article 2313-1, un comité social et économique est mis en place dans les entreprises d’au moins
11 salariés. Pour les entreprises constitués « d’au moins cinquante
salariés et comportant au moins deux établissements distinct »[8],
un comité social et économique d’établissement est mis en place au niveau de
l’établissement et un comité social et économique central d’entreprise est mis
en place au niveau de l’entreprise.
A. Avant
l’ordonnance du 22 septembre 2017
Dès l’origine, les critères de l’établissement
distinct ont été posés par la circulaire n°11 du 14 juin 1945, abrogé par la
circulaire DRT du 17 mars 1993, sur le fondement de l’ancien article L 2327-15
du code du travail (également abrogé par l’ordonnance du 22 septembre 2017). A
ce moment, l’effectif de l’établissement était une condition pour reconnaitre
celui-ci d’établissement distinct.
A la suite de cette abrogation, trois critères ont été dégagés par la
jurisprudence du conseil d’état, dans un arrêt du 29 juin 1973[9],
Cie des Wagons-lits, pour reconnaître
l’existence d’un établissement distinct :
- · Implantation géographique distinctes
- Une Stabililté
- Degré d’autonomie apprécié par rapport à la compatibilité de l’entreprise (bilan et compte de résultat), l’exécution du service et surtout, le pouvoir de gestion du représentant de l’employeur concernant le personnel et l’organisation du travail.

« SI
LES INSPECTIONS, SECTIONS, GROUPES DE SECTIONS ET D'INSPECTIONS ET SERVICES QUE
LE SYNDICAT REQUERANT VOUDRAIT VOIR DOTER DE COMITES D'ETABLISSEMENTS PROPRES
ONT BIEN UNE IMPLANTATION GEOGRAPHIQUE DISTINCTE ET PRESENTENT UN CERTAIN
CARACTERE DE STABILITE, ILS NE POSSEDENT, EN REVANCHE, AUCUNE COMPTABILITE
PROPRE ET NE PRESENTENT QU'UN DEGRE D'AUTONOMIE TRES REDUIT TANT EN CE QUI
CONCERNE LA GESTION DU X... QUI Y EST AFFECTE QU'EN CE QUI A TRAIT A L'EXECUTION
DU SERVICE »
Dans un arrêt du 15 mai 1991, le
conseil d’Etat prévoit, contrairement à la circulaire de 1945, que la
qualification d’établissement distinct
ne dépend pas de l’effectif de cet établissement. En revanche, le
conseil d’Etat précise, dans un arrêt du 19 octobre 1992, que l’effectif
constitue un indice pour apprécier le degré d’autonomie de l’établissement.
Concernant le mode de
reconnaissance de l’établissement distinct : Les anciens articles L.2322-5
et L.2327-7 du Code du travail prévoient que le découpage de l'entreprise en
établissements est en principe de la compétence des partenaires sociaux (le
chef d'entreprise et les organisations syndicales représentatives au niveau de
l'entreprise). Si aucun accord n’a été rendu possible, il appartient alors au
directeur départemental du travail et de l'emploi dans le ressort duquel se
trouve le siège de l'entreprise de fixer le nombre d'établissements distincts
où pourront être mis en place des comités d'établissement.
La conception de l’établissement
distinct qui prévalait en jurisprudence administrative relative au comité
d’établissement s’appliquait au CHSCT (arrêt de la chambre sociale du 29
janvier 2003).
B. Impact
de l’ordonnance du 22 septembre 2017 :
L’ordonnance du 22 septembre 2017
a modifié les modalités et conditions de reconnaissance des établissements
distincts pour la mise en place du CSE. Le rapport du ministère du travail
rappel également que la création d’un CSE d’établissement dépend de l’effectif
de l’entreprise et non de celui de l’établissement. En outre, cette notion d’établissement
distinct est encadrée par les articles L 2313-1 à L 2313-6 du code du travail.
Désormais, la reconnaissance du nombre et du périmètre de l’établissement
distinct se fait prioritairement par un accord d’entreprise signé entre
l’employeur, ou son représentant, et les syndicats représentatifs ayant
recueilli plus de la moitié des suffrages lors des dernières élections
professionnelles (article L 2313-2 sur renvoi à l’article L 2232-12). Il a été
prévu qu’il n’était pas possible, si ce seuil n’est pas atteint, d’avoir
recours à un referendum dans le cas où cet accord aurait été signé par un ou
plusieurs syndicats ayant obtenu plus de 30% des suffrages seulement. En cas
d’accord, la loi n’impose pas de critère spécifique et le nombre ainsi que le
périmètre des établissements distincts peuvent être librement déterminés par
les partenaires sociaux (il est donc possible de déroger à l’article L 2313-4).
Selon l’article L 2313-3, à
défaut d’un tel accord et en l’absence d’un délégué syndical, la reconnaissance
des établissements distincts se fait par le biais d’un accord signé au sein du
CSE avec la majorité des membres titulaires et l’employeur. Etant précisé que
même en cas d’échec des négociations entre les partenaires sociaux sur l’accord
d’entreprise, la négociation avec le CSE n’est pas possible ; ce n’est
qu’en l’absence de délégué syndical que cette voie est ouverte
En outre, en cas d’évolution de
l’organisation de l’entreprise, notamment en cas de fusion-absorption, cet
accord peut être modifié selon les
règles de révision des accords collectifs prévus aux articles L 2262-7-1 et
suivant.
Si aucun
accord n’a pu être conclu, l’employeur peut procéder unilatéralement à la
division de l’entreprise en établissements distincts. Selon l’article
L.2313-4 du Code du travail, l’employeur doit néanmoins tenir compte « de l’autonomie de gestion du responsable de
l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel ». Cet
article s’inscrit dans la lignée de décision prise par le Conseil d’Etat
concernant le critère de l’autonomie du chef d’établissement.
Dans un arrêt du 17 avril 2019[10],
la chambre sociale de la Haute juridiction précise que « ce n’est que lorsque, à l’issu d’une tentative
loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur
peut fixer par décision unilatérale le nombre et le périmètre des
établissements distincts ». La cour de cassation exige alors la
satisfaction au principe de bonne foi de la part de l’employeur, des
partenaires sociaux et des délégués du personnel au CSE.
De plus, dans un arrêt du 19
décembre 2018[11], la
chambre sociale de la Cour de cassation renforce cet aspect et précise que
l’établissement qui présente « notamment
en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son
responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du
personnel et l’exécution du service » est un établissement distinct.
La Cour de cassation invite à
examiner si le responsable d’établissement dispose de prérogatives importantes
en matière sociale, économique et financière au regard des délégations de
compétences qui lui sont accordées.
L’article L.2313-5 du Code du
travail prévoit qu’un recours contre la décision unilatérale de l’employeur
peut être formé devant la DIRECCTE du siège de l’établissement dans un délai de
15 jours à compter de la date d’information des organisations syndicales
représentatives et des organisations syndicales ayant constituées une section
syndicale (article R 2313-1).
La DIRECCTE a 2 mois pour se
prononcer. Depuis la loi Travail du 8 aout 2016 qui pose la compétence du juge
judiciaire en matière de contestation de la DUE, cette décision administrative
peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal d’instance.
Astrée Dugast et Clémence Perragin
[1] Soc, 30
mai 2001, 00-60.006 : Le découpage en établissement distinct ne peut avoir
effet de privé un centre d’activité de représentation ; ce centre doit
être rattaché à un établissement déjà reconnu.
[2] Soc, 16
janvier 1985, 84-60.384
[3] Soc, 28
février 1989, 88-60.146
[4] Soc, 23
avril 1986, 85-60.723
[5] Soc, 10
octobre 1990, 90-60.014
[6]
E.Clément, La définition légale de
l'établissement distinct, périmètre de la désignation des délégués syndicaux,
Dalloz, 2014
[7] Soc, 31
mai 2016, 15-21.175
[8] Soc, 15
janvier 2002, 00-60.326 : Dès lors qu’est reconnue, au sein d’une
entreprise, l’existence d’établissement distinct, il en résulte que
l’entreprise en comporte au moins deux.
[9] CE, 29
juin 1973, n°77782, Compagnie internationale des Wagons lits : Définition
de la notion d’établissement distinct
[10] Soc, 17
avril 2019, 18-22.948 : Principe de bonne foi exigé
[11] Soc, 19
décembre 2018, 18-23.655
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