AFFAIRE SØRENSEN et
RASMUSSEN c. DANEMARK
ou la question de la dimension négative de la liberté syndicale
individuelle.
(Requêtes nos 52562/99 et 52620/99)
CEDH, 11 janvier 2006
- Jurisprudence
antérieure -
Au
départ, la Cour ne jugeait pas nécessaire de se prononcer sur l'existence d'une
dimension négative de la liberté syndicale (CEDH,
13 août 1981, Young, James et Webster c. Royaume-Uni). Elle
justifiait cela au regard (1) du caractère sensible des questions sociales et
(2) du degré élevé de divergence entre les législations des États ;
reconnaissant en conséquence aux États une ample marge d'appréciation quant à
l'équilibrage entre la liberté (syndicale individuelle) du salarié et la
nécessité du syndicat d'assurer la protection de ses membres (liberté syndicale
collective). Cela ne l'empêchait pas pour autant de sanctionner un système de closed-shop
avec le motif qu'il portait atteinte à la substance même de l'article 11.
La
liberté syndicale négative a été reconnue explicitement pour la première fois
dans l'arrêt CEDH Sigurður A. Sigurdjónsson c.
Islande du 30 juin 1993.
On en
vient alors au présent arrêt dont l'apport est de reconnaître que le niveau de
la dimension négative de ladite liberté peut être égal à celui de sa dimension
positive.
- Contenu de
l'arrêt -
En
l'espèce, était en cause un système de monopole syndical : l'embauche du
syndicat allait obligatoirement de paire avec son adhésion à un syndicat
déterminé à l'avance.
La
Cour commence classiquement par rappeler sa jurisprudence antérieure et
notamment le fait que la protection des opinions personnelles garanties par les
articles 9 et 10 de la Convention exige que soit reconnu une liberté négative
d'association au sens de l'article 11 ConvEDH. La notion plus générale
d'« autonomie personnelle » sous-tend les garanties de la ConvEDH et
se trouve être, en conséquence, un corollaire de cette liberté syndicale qui doit,
en ce sens, se voir reconnaître une dimension négative.
La
Cour reconnaît ensuite que la dimension négative de la liberté syndicale peut
(et non pas « doit ») être garantie de la même manière ou avec la
même force que son pendant positif. Pour autant, la question de la conformité
du monopole syndical avec la convention ne peut être tranchée in abstracto :
une prise en compte des faits de l'espèce est absolument nécessaire pour
trancher la question. Dans tous les cas, le fait qu'une personne accepte un
emploi en connaissance du fait que l'adhésion à un syndicat précis sera alors
inévitable, ne peut être considéré comme une renonciation à cette même liberté
négative, dans la mesure ou la personne qui est en recherche d'emploi est
soumise à une pression considérable et est souvent prête à accepter presque
n'importe quelles conditions de travail pour retrouver un emploi. Par ailleurs,
le fait de distinguer un monopole syndical avant embauche et un monopole
syndical après embauche n'a pas lieu d'être, tant que demeure une obligation.
L'article
1er de la ConvEDH obligeant l'État à garantir les droits et libertés
garanties par la convention requiert non pas exclusivement une attitude de
non-ingérence de l'État dans les relations entre particuliers, mais implique (y
compris ici) aussi des obligations positives de sa part de manière à équilibrer
les relations entre lesdits particuliers.
Le
Cour rappelle l'ample marge de manœuvre dont disposent les États pour ajuster
cet équilibre, mais juge que dans un cas où le droit interne d'un État permet
l'existence d'accords de monopole syndical, cette marge de manœuvre est au
contraire réduite étant donné que « la démocratie ne se ramène pas à la
suprématie constante de l'opinion d'une majorité mais commande un équilibre qui
assure aux minorités un juste traitement et qui évite tout abus d'une position
dominante ». Pour apprécier la conventionnalité de ce type d'accord, il
faut prendre en considération (1) les motifs avancés par les autorités pour les
justifier (2) leur degré d’empiétement in concreto sur la liberté
syndicale négative et (3) leur nécessité réelle pour garantir la liberté
syndicale (collective).
- Les faits -
En
l'espèce, si la Cour a bien voulu prendre en compte le fait que M. SØRENSEN n'était pas fortement atteint dans sa
liberté syndicale négative puisque d'une part, il ne s'agissait ici que d'un
job d'été et que d'autre part, 90% des employeurs du secteur n'avaient pas
conclu d'accord de monopole syndical (il avait donc le choix), la Cour condamne
le Danemark pour une raison qui ne prend pas vraiment en compte les faits de
l'espèce. En effet, elle se fonde sur le fait que le gouvernement danois avait,
ces dernières années, tenté à plusieurs reprises de mettre fin aux monopoles
syndicaux et que cela reflétait une tendance plus générale de la part des
État-membres de démantèlement de ce genre de pratiques qui prouverait que ces
accords ne sont pas nécessaires à la garantie de la liberté des syndicats et de
la défense des intérêts des travailleurs. Même si la Cour met l'accent sur le
fait qu'on ne peut juger de la conventionnalité d'un accord de monopole
syndical in abstracto, on émerge de la lecture de cet arrêt avec
l'impression que, selon la Cour, quoiqu'il arrive, ceux-ci sont de toute
manière voués à disparaître.
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