Astrée Dugast
Le
syndicalisme jaune
La couleur jaune semble à travers
des décennies avoir toujours été celle de celui qui s’oppose, qui trahi. Elle a
été celle de l’hérétique sous le régime nazi avec l’étoile de David ; elle
est celle des maladies et des insultes (« yellow dog » en
anglais) ; et, aujourd’hui encore, elle désigne les briseurs de grève et
par extension les « traites ».
Le syndicalisme jaune désigne des
travailleurs groupés en syndicats dits indépendants ou jaunes, qui ont pour idéal
l’accord avec le patronat. Ils ont été constitués en opposition au syndicalisme
rouge, socialiste ou communiste. Les premiers syndicats jaunes furent créés,
sous des influences patronales, à la suite de grèves menées au Creusot et à
Montceau-les-Mines en 1899.
·
La création des premiers syndicats jaunes :
A la suite de la grève générale
du Creusot, Pierre Waldeck-Rousseau autorise le 7 octobre 1899 la création de
syndicats ouvriers à l'initiative de leur employeur. Eugène II Schneider
impulse ainsi la création le 29 octobre 1899 du « syndicat des corporations
ouvrières du Creusot et de ses dépendances ». C’est donc le premier syndicat
jaune, composé exclusivement d'ouvriers favorables au patron et ayant pour but
premier d'entraver l'action du syndicat appelant à la grève.
D'autres syndicats jaunes sont
ensuite fondés à Montceau-les-Mines le 8 novembre 1899 puis dans d'autres
villes.
L’origine du terme
« jaune » : Le terme jaune trouve son origine dans
l’affrontement de Montceau-les-Mines entre grévistes et non-grévistes. Les
grévistes attaquèrent le lieu de réunion des premiers jaune (le Café de la
mairie) en jetant des pierres qui brisèrent les vitres. Les anti-grévistes
décidèrent alors de remplacer ces vitres brisées par du papier jaune trouvé à
la hâte. A partir de là les ouvriers anti-grève furent appelés « jaunes ».
·
Le syndicalisme jaune au début du XIXème
siècle :
Le mouvement jaune s'organise à
partir de 1901 avec
la création de l'Union fédérative des
syndicats et groupements ouvriers professionnels de France et des colonies,
aussi appelée Fédération nationale des Jaunes de France, fondée et dirigée
par Paul
Lanoir jusqu'en 1902. Il est évincé par la suite par Pierre Biétry.
Le mouvement est antisémite et d'extrême
droite dès sa création. Le slogan de l’organisation est :
« Patrie, famille, travail », termes qui seront repris par le régime
de Vichy. C’est un mouvement également extrêmement violent.
Ce mouvement s’oppose
diamétralement au syndicalisme rouge et plus généralement au mouvement
socialiste. Alors que le syndicalisme jaune déclare tendre à la conquête
pacifiste de la propriété individuelle, le syndicalisme rouge vise son
abolition.
En 1908, Pierre Biétry scinde le mouvement
entre un parti politique, le Parti propriétiste, et un syndicat, la Fédération syndicaliste des Jaunes de
France. Dès le début du XXe siècle, le syndicat fait l’objet de subvention
de la part de fonds patronaux (ceci renvoie à s’interroger sur la question de
l’indépendance du syndicat).
·
Le soutien du gouvernement gaulliste (1959-1969) :
En 1959, deux syndicats jaunes s’opposent :
-la Confédération générale des
Syndicats indépendants (CGSI)
-la Confédération française du
Travail (CFT) de Raymond Jacquet et Jacques Simakis, proche des réseaux
gaullistes
Lors d’un congrès de
réunification, la CFT finit par s’imposer en tant que premier syndicat jaune.
Cependant, les liens qu’elle entretien avec l’OAS et les partisans de l’Algérie
française impose au pouvoir gaulliste de ne pas lui afficher un soutien trop
marqué. La CFT reçoit néanmoins l’aide
de nombreux hommes politiques de droite de l’époque pour tenter d’obtenir la
représentativité syndicale.
En mai 1968, alors qu’a lieu à
Paris la contre-manifestation gaulliste, la CFT intervient dans les entreprises
occupées par la grève pour tenter de disperser les piquets de grève.
·
L’accroissement de la violence dans les
années 1970 :
Les années 1970 sont marquées par
l’accroissement d’actions violentes. On peut citer :
-
une affaire du 13 juillet 1972 où deux jeunes
femmes sont victimes de violences lors d’un bal populaire de l’usine Citroën organisé
par le Secours rouge (une organisation d’extrême gauche). L’enquête de police
démontre que l’attaque avait été préméditée et organisée par un cadre
responsable de la CFT chez Citroën.
-
une violente action coup de poing en 1973 a lieu
au sein de l’usine Peugeot pour mettre fin à l’occupation des ateliers par les
grévistes.
Pendant ce temps, les règlements
de comptes se multiplient au sein de la CFT. Lors d’un congrès en 1975, Jacques
Simakis est victime d’un putsch fomenté par Auguste Blanc, fondateur et secrétaire
du CFT chez Citroën. Une plainte de détournement de fond est déposée contre
lui. Jacques Simakis réplique en dénonçant les liens de la CFT avec le crime
organisé et le SAC (Service d’action civique, organisation gaulliste violente).
En représailles, Jacques Simakis et sa femme échappe de peu à une tentative
d’assassinat.
·
La fin de l’existence de la CFT :
À court d’argent, et sans
espoir véritable de décrocher la représentativité syndicale, la CFT annonce le
4 octobre 2002 qu’elle ne présentera pas de candidats aux prochaines
élections prud’homales. Elle cesse officiellement toute activité.
Bibliographie :
-COLLOMBAT
Benoît, Les noires méthodes des « syndicats jaunes », La Découverte,
2014, p. 253
-CHALLAYE
Félicien, Le syndicalisme jaune, Edition Belin, p.8
-PAWLOWSKI
Auguste, Les syndicats jaunes, F. Alcan (Paris), 1911, p. 1 à 10
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