Aude-Aline De Clermont
Dans cet arrêt, il est question
de deux sociétés ayant été absorbées par une troisième. Cette dernière est
pourvue d’un comité d’entreprise dont les membres ont été élus sur la base d’un
protocole négocié après l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008. Peu de
temps après, un syndicat a désigné une salariée en qualité de déléguée
syndicale au sein de la société absorbante. Cette dernière a contesté cette
désignation, estimant que ce syndicat n’était pas représentatif en son sein,
car il n’avait pas atteint le seuil des 10% d’audience lors des dernières
élections professionnelles.
Cette désignation a été annulée
par un jugement. Le syndicat s’est alors pourvu en cassation. Il affirmait que
la survie temporaire de la présomption de représentativité ne prenait fin que
si des élections professionnelles permettant de mesurer l’audience syndicale
étaient organisées, après l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, dans
chacune des entités composant le nouveau périmètre de désignation du délégué
syndical. En l’espèce, cela faisait défaut (les élections concernaient une
seule des trois entités composant la nouvelle société). Le syndicat se
considérait donc comme étant toujours représentatif. D’autre part, il soutenait
que sa qualité d’organisation syndicale représentative avait été expressément
admise par un accord collectif conclu avec la société absorbante, et que cette
dernière l’avait sollicité pour désigner un délégué syndical.
Mais la Cour de cassation a
rejeté le pourvoi. Elle a tout d’abord constaté que des élections avaient bien
été organisées dans l’entreprise, sur la base d’un protocole préélectoral dont
la première réunion de négociation était postérieure à la loi du 20 août 2008.
Ainsi, la période transitoire dans cette société avait bien pris fin, même si
après ces élections la société avait absorbé des sociétés dans lesquelles de
telles élections n’avaient pas été organisées. D’autre part, la Cour de
cassation a affirmé qu’un accord collectif, tout comme la volonté d’un
employeur, sont impuissants à reconnaître la qualité d’organisation syndicale
représentative à une organisation qui n’a pas atteint le seuil de 10% des
suffrages exprimés lors du premier tour de la dernière élection des membres
titulaires du comité d’entreprise. La Cour de cassation donne au critère de
l’audience électorale un caractère impératif, affirmant que la loi du 20 août
2008 est d’ordre public absolu, lui permettant d’échapper à toute tentative de
dérogation, peu importe qu’elle provienne d’un accord ou d’une décision
unilatérale de l’employeur.
Par cet arrêt, la Cour de
cassation pose le principe de la représentativité prouvée. La représentativité
d’un syndicat doit impérativement être prouvée, et non plus présumée. Cela
n’est pas forcément surprenant au vu de certaines décisions déjà rendues par la
Cour précédemment. Dans un arrêt du 16 septembre 2008 (n°07-13.440), la Cour de
cassation avait décidé, sur le fondement de la liberté syndicale et du principe
d’égalité, d’interdire les dispositions privilégiant les seuls syndicats tirant
leur représentativité d’une affiliation.
Mais sur quel fondement juridique
le caractère d’ordre public absolu est-il retenu ? Avant même la loi du 20 août
2008, il était question de rendre indisponible des critères fixés par le
législateur pour l’attribution de la qualité représentative à un syndicat.
Cette nouvelle loi a d’ailleurs été l’occasion pour le juge constitutionnel
d’affirmer que la définition des critères de représentativité syndicale
relevait du domaine de la compétence réservé à la loi par l’article 34 de la
Constitution. Ainsi, les critères fixés par la loi, et notamment celui de
l’audience électorale, ne peuvent supporter aucune dérogation. La Cour de
cassation affirme d’ailleurs que la loi du 20 août 2008 tout entière est
d’ordre public absolu, ne pouvant souffrir aucune dérogation. Cela entraîne
aussi l’interdiction pour le juge de modifier le seuil de l’audience
électorale. Il s’agit ici de penser que la Cour de cassation souhaite éviter
l’émergence d’un quelconque contentieux autour de la question du seuil de
l’audience électorale. Cela permet le respect du principe d’égalité entre les
différentes organisations syndicales. Ces dernières doivent toutes être
soumises aux mêmes règles.
D’autre part, les partenaires
sociaux tout comme le législateur ont émis le souhait de conférer une
importance essentielle au critère de l’audience électorale. Cela peut également
expliquer le choix de la Cour de cassation de donner à cette règle un caractère
d’ordre public absolu.
Comparaison avec une seconde
décision : Ch. sociale de la Cour de cassation, 15 octobre 2015,
n°14-25.375
Dans ce second arrêt, il était
question d’un syndicat ayant recueilli 9,98% des suffrages lors du premier tour
des dernières élections professionnelles d’une entreprise. Ce syndicat
soutenait que les dispositions du Code du Travail (article L. 2143-5)
n’excluaient pas la faculté pour un juge, compte tenu des circonstances
particulières rendant impossible la mesure exacte et incontestable de
l’audience d’un syndicat, de rectifier le score électoral de ce dernier en le
portant à l’unité supérieure. Mais le moyen a été rejeté par la Cour de cassation.
Elle confirme ici que cette loi du 20 août 2008 est d’ordre public absolu. Il
est impossible de mettre en œuvre des dispositions qui ne sont pas prévues par
cette loi. Un juge ne peut donc pas modifier ou arrondir le seuil de l’audience
électorale fixé par la loi.
Sources :
- Adrien Brousse, « L’audience
électorale érigée au rang de règle d’ordre public absolu », Rev. trav.
2011, p. 449
- Franck Petit, « La survie
temporaire de la présomption irréfragable de représentativité », Droit social, 2011. 1002
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