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samedi 21 septembre 2019

La loi peut limiter l'accès à la représentativité sans porter atteinte à la liberté syndicale


Clémence Perragin



Rappel contexte : La loi du 20 août 2008 a été adoptée en France. Pour déterminer le caractère représentatif d’un syndicat, cette loi impose un seuil électoral de 10% des suffrages exprimés aux élections professionnelles. Certains auteurs dénoncent que cette loi est inconstitutionnelle et contraire au principe du droit syndical.

Le 12 novembre 2008, la CEDH déclare implicitement, sur le fondement de l’article 11 de la convention, que cette loi relève de l’exercice du droit syndical et par conséquent, les états sont libres d’organiser la manière dont ce droit va être exercé tant que cela n’atteint pas l’essence même du droit syndical.

Fondement de la décision :
·       Art.11 al 1 de la convention : « Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts ».
·       Art.11 al 2 de la convention : « L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat »
·       Art. 2 de la convention N°87 de l’OIT : « Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières ».

En l’espèce, des fonctionnaires de diverses communes fondent, en 1990, le syndicat Tüm Bel Sen. Le 27 février 1993, le syndicat conclue une convention collective, d’une durée de deux ans, avec une commune concernant les conditions de travails dans les services de la municipalité. La commune n’exécute pas ses obligations.

Le 18 juin 1993, la présidente du syndicat forme une action civile devant le tribunal de grande instance de Gaziantep afin que la commune exécute ses obligations en application de la convention. Par un jugement du 22 juin 1994, le TGI fait droit à la demande du syndicat et la commune forme un pourvoi en cassation. Par un arrêt du 13 décembre 1994, la cour de cassation infirme le jugement de première instance au motif qu’en l’état actuel de la législation Turc, les fonctionnaires ne sont pas habilités à former un syndicat. Elle énonce qu’une législation spéciale doit venir encadrer cette possibilité étant donné que les fonctionnaires relèvent d’un statut particulier de droit public en lien avec l’administration. La relation est différente que celle entre un employeur de droit privé et un salarié.  Par conséquent, loi N°2322 régissant les « conventions collectives » Turc entre un employeur et un salarié ne peut s’appliquer. Par un jugement du 28 mars 1995, le TGI conserve sa position et se fonde sur les dispositions du droit international pour valider la formation du syndicat de fonctionnaire et la convention collective conclue, étant donné que la loi Turc est silencieuse sur ce point. Par un arrêt de la chambre réunie de la cour de cassation Turc du 6 décembre 1995, la cour maintient sa position initiale et rejette le recours en rectification des requérants au motif qu’en vertu de la constitution Turc de l’époque, l’exercice du droit de constituer un syndicat et de mener des négociations collectives doit être règlementé par la loi, et, à défaut, ce droit ne peut être exercé. Ainsi, elle déclare que le syndicat de fonctionnaire n’est pas une personne morale, ne peut pas conclure de convention collective et n’est pas habilité à agir en justice. Le 8 octobre 1996, les requérants du syndicat de fonctionnaire saisissent la cour européenne des droits de l’Homme en alléguant la violation de l’article 11 de la convention par les instances nationales.

Par un arrêt du 12 novembre 2008, la grande chambre de la cour européenne des droits de l’Homme se prononce sur la possibilité pour des fonctionnaires municipaux de fonder un syndicat et de conclure des conventions collectives. Elle rejette l’arrêt rendu par la cour de cassation Turque en effectuant une interprétation stricte de l’article 11 de la convention européenne.

Le droit pour les fonctionnaires municipaux de fonder un syndicat : L’article 11 prévoit que « toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association » c’est à dire qu’autant des personnes privées que des personnes publiques peuvent se réunir pour la défense de ses intérêts. Elle admet alors la possibilité pour des fonctionnaires municipaux de constituer un syndicat. Néanmoins, l’alinéa 2 de l’article 11 de la convention prévoit qu’une loi peut venir restreindre l’exercice du droit syndical dès lors que cela est « mesure nécessaire dans une société démocratique ». Il appartient à l’Etat Turc de démontrer le caractère légitime de la restriction qui, en l’espèce, n’est pas caractérisé puisque l’interdiction aux fonctionnaires municipaux de constituer un syndicat n’est pas une mesure nécessaire dans une société démocratique étant donné que l’objet du syndicat est de défendre les intérêts de la profession. De plus, le gouvernement Turc n’a pas démontrer la qualité particulière des requérants pour les considérer comme « membre de l’administration » et faire l’objet de restriction. En outre, elle se fonde également sur l’article 2 de la convention N°87 de l’OIT, appliqué par la Turquie mais ratifiée qu’en 2001, pour octroyer  toute légitimité aux fonctionnaires municipaux de constituer un syndicat. On peut remarquer que la cour utilise un texte externe international pour fonder sa décision. Cela est possible depuis la décision de la CEDH du 28 janvier 2008, Saandi c/ Royaume-Uni, qui permet la prise en considération des éléments de droit internationaux dont relève la question juridique en cause.

Le droit pour le syndicat de fonctionnaire de conclure des conventions collectives : De nouveau, sur le fondement de l’article 11 de la convention, la cour européenne des droits de l’Homme exprime l’idée que la négociation collective découle « du droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts ». Par conséquent, la négociation collective est un élément essentiel du droit syndical et implique, par conséquent, la conclusion de convention collective. En application de la généralité de ces prescriptions, les états restent libres d’organiser leur système tant que le droit à la liberté syndical garanti par la convention n’est pas restreint. Etant donné que la loi Turc était silencieuse à l’époque des faits, le droit international s’applique et permet au syndicat de fonctionnaire de pouvoir engager un processus de négociation collective et, in fine, de conclure des conventions collectives.  D’où il suit que l’annulation de la convention collective par la cour de cassation Turc constitue une restriction non légitime à l’exercice de la liberté syndicale des requérants et doit donc être rejetée.

Dès lors, la loi du 20 aout 2008 vient organiser le système syndical français et son exercice sans restreindre légitimement le droit syndical lui-même. En effet, cette loi organise l’exercice du droit syndical en précisant un des critères de représentativité des syndicats : L’audience électorale. La loi fixe un seuil électoral de 10% des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnels pour octroyer le caractère représentatif à un syndicat. En revanche, on remarque que cette loi ne porte pas atteinte à l’essence même du droit syndical.

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