Clémence Perragin
Note de jurisprudence - CEDH, 12 novembre 2008, Aff. Demir et Beykara c/ Turquie
Rappel contexte : La loi du 20 août 2008 a été adoptée en
France. Pour déterminer le caractère représentatif d’un syndicat, cette loi
impose un seuil électoral de 10% des suffrages exprimés aux élections
professionnelles. Certains auteurs dénoncent que cette loi est
inconstitutionnelle et contraire au principe du droit syndical.
Le 12 novembre 2008, la CEDH déclare implicitement, sur le fondement
de l’article 11 de la convention, que cette loi
relève de l’exercice du droit syndical et par conséquent, les états sont libres
d’organiser la manière dont ce droit va être exercé tant que cela n’atteint pas
l’essence même du droit syndical.
Fondement de la
décision :
·
Art.11 al 1 de la convention :
« Toute personne a droit à la
liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit
de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la
défense de ses intérêts ».
·
Art.11 al 2 de la
convention : « L'exercice
de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui,
prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de
l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la
morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article
n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de
ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de
l'administration de l'Etat »
·
Art. 2 de la
convention N°87 de l’OIT : « Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte,
ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de
leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, à la seule
condition de se conformer aux statuts de ces dernières ».
En l’espèce, des fonctionnaires de diverses communes fondent, en 1990,
le syndicat Tüm Bel Sen. Le 27 février 1993, le syndicat conclue une convention
collective, d’une durée de deux ans, avec une commune concernant les conditions
de travails dans les services de la municipalité. La commune n’exécute pas ses
obligations.
Le 18 juin 1993, la présidente du syndicat forme une action civile devant
le tribunal de grande instance de Gaziantep afin que la commune exécute ses
obligations en application de la convention. Par un jugement du 22 juin 1994,
le TGI fait droit à la demande du syndicat et la commune forme un pourvoi en
cassation. Par un arrêt du 13 décembre 1994, la cour de cassation infirme le
jugement de première instance au motif qu’en l’état actuel de la législation
Turc, les fonctionnaires ne sont pas habilités à former un syndicat. Elle
énonce qu’une législation spéciale doit venir encadrer cette possibilité étant
donné que les fonctionnaires relèvent d’un statut particulier de droit public
en lien avec l’administration. La relation est différente que celle entre un
employeur de droit privé et un salarié. Par
conséquent, loi N°2322 régissant les « conventions
collectives » Turc entre un employeur et un salarié ne peut
s’appliquer. Par un jugement du 28 mars 1995, le TGI conserve sa position et se
fonde sur les dispositions du droit international pour valider la formation du
syndicat de fonctionnaire et la convention collective conclue, étant donné que
la loi Turc est silencieuse sur ce point. Par un arrêt de la chambre réunie de
la cour de cassation Turc du 6 décembre 1995, la cour maintient sa position
initiale et rejette le recours en rectification des requérants au motif qu’en
vertu de la constitution Turc de l’époque, l’exercice du droit de constituer un
syndicat et de mener des négociations collectives doit être règlementé par la
loi, et, à défaut, ce droit ne peut être exercé. Ainsi, elle déclare que le
syndicat de fonctionnaire n’est pas une personne morale, ne peut pas conclure
de convention collective et n’est pas habilité à agir en justice. Le 8 octobre
1996, les requérants du syndicat de fonctionnaire saisissent la cour européenne
des droits de l’Homme en alléguant la violation de l’article 11 de la
convention par les instances nationales.
Par un arrêt du 12 novembre 2008, la grande chambre de la cour
européenne des droits de l’Homme se prononce sur la possibilité pour des
fonctionnaires municipaux de fonder un syndicat et de conclure des conventions
collectives. Elle rejette l’arrêt rendu par la cour de cassation Turque en
effectuant une interprétation stricte de l’article 11 de la convention
européenne.
Le droit pour les fonctionnaires municipaux de fonder un syndicat :
L’article 11 prévoit que « toute
personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté
d'association » c’est à dire qu’autant des personnes privées que des
personnes publiques peuvent se réunir pour la défense de ses intérêts. Elle
admet alors la possibilité pour des fonctionnaires municipaux de constituer un
syndicat. Néanmoins, l’alinéa 2 de l’article 11 de la convention prévoit qu’une
loi peut venir restreindre l’exercice du droit syndical dès lors que cela
est « mesure nécessaire dans
une société démocratique ». Il appartient à l’Etat Turc de démontrer
le caractère légitime de la restriction qui, en l’espèce, n’est pas caractérisé
puisque l’interdiction aux fonctionnaires municipaux de constituer un syndicat
n’est pas une mesure nécessaire dans une société démocratique étant donné que
l’objet du syndicat est de défendre les intérêts de la profession. De plus, le
gouvernement Turc n’a pas démontrer la qualité particulière des requérants pour
les considérer comme « membre de
l’administration » et faire l’objet de restriction. En outre, elle se fonde
également sur l’article 2 de la convention N°87 de l’OIT, appliqué par la
Turquie mais ratifiée qu’en 2001, pour octroyer
toute légitimité aux fonctionnaires municipaux de constituer un
syndicat. On peut remarquer que la cour utilise un texte externe international
pour fonder sa décision. Cela est possible depuis la décision de la CEDH du 28
janvier 2008, Saandi c/ Royaume-Uni, qui permet la prise en considération des
éléments de droit internationaux dont relève la question juridique en cause.
Le droit pour le syndicat de fonctionnaire de conclure des
conventions collectives : De nouveau, sur le fondement de l’article 11
de la convention, la cour européenne des droits de l’Homme exprime l’idée que
la négociation collective découle « du
droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats
pour la défense de ses intérêts ». Par conséquent, la négociation
collective est un élément essentiel du droit syndical et implique, par
conséquent, la conclusion de convention collective. En application de la
généralité de ces prescriptions, les états restent libres d’organiser leur
système tant que le droit à la liberté syndical garanti par la convention n’est
pas restreint. Etant donné que la loi Turc était silencieuse à l’époque des
faits, le droit international s’applique et permet au syndicat de fonctionnaire
de pouvoir engager un processus de négociation collective et, in fine, de
conclure des conventions collectives. D’où
il suit que l’annulation de la convention collective par la cour de cassation
Turc constitue une restriction non légitime à l’exercice de la liberté
syndicale des requérants et doit donc être rejetée.
Dès lors, la loi du 20 aout 2008 vient organiser le système syndical
français et son exercice sans restreindre légitimement le droit syndical
lui-même. En effet, cette loi organise l’exercice du droit syndical en précisant
un des critères de représentativité des syndicats : L’audience électorale.
La loi fixe un seuil électoral de 10% des suffrages exprimés au premier tour
des élections professionnels pour octroyer le caractère représentatif à un
syndicat. En revanche, on remarque que cette loi ne porte pas atteinte à
l’essence même du droit syndical.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire