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mercredi 23 octobre 2019

Note de jurisprudence : faut-il nécessairement payer une cotisation syndicale pour avoir la qualité d’adhérent (dans le cadre de la section syndicale) ?

Hervé LE GALL

Cass. Soc. 13 juin 2019 n°18-15.442

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a annulé la désignation d'un représentant de section syndicale (RSS) en raison du non-paiement de sa cotisation par l'un des deux adhérents au syndicat.

En l'espèce, un syndicat affilié à la CFDT a désigné un salarié en qualité de RSS le 6 juillet 2017. La société a saisi le TI d'une demande d'annulation, estimant la désignation frauduleuse.
Pour démontrer que sa section syndicale (SS) est valablement constituée, le syndicat ne peut être contraint de communiquer à l'employeur la liste nominative de ses adhérents. Il faut l'accord du/des salarié(s) (Cass. Soc., 8 juillet 2009, n°09-60.011). Il doit ainsi communiquer contradictoirement des éléments de preuve, établissant la présence d'au moins 2 adhérents ne permettant pas de les identifier. Il n'y a que le juge qui puisse avoir connaissance de cette liste nominative (Cass. Soc., 1er avril 2015, n°14-18.504).
Toutefois, par erreur pendant l'audience, le magistrat a révélé à la société l'identité de la seconde adhérente. L'employeur a alors transmis une attestation de l'intéressée : elle indiquait qu'elle n'était plus adhérente au syndicat à la date de la désignation. Pourtant, le syndicat rétorque que l'adhérente « était à jour de ses cotisations à la date du 6 septembre 2017 ».
La salariée a été auditionnée et a confirmé avoir été adhérente, avant de souligner qu'elle ne réglait plus ses cotisations depuis mai 2017. Elle estime alors n'être « plus adhérente à la CFDT depuis mai 2017 ».

Le tribunal a estimé que la SS était valablement constituée au moment de la désignation litigieuse, car à cette date, la salariée n'avait pas demandé « expressément son retrait du syndicat » et « n'avait fait l'objet d'aucune mesure d'exclusion ». Le tribunal s'est fondé sur une décision de la Cour de cassation du 22 novembre 2017 (n°16-22.184) qui relevait que la condition d'adhésion d'un salarié doit s'examiner « à la lumière des statuts du syndicat ». Or, ces derniers indiquaient qu'un adhérent ne pouvait être exclu pour non-paiement de sa cotisation « qu'au plus tard 15 jours après le rappel qui pourra lui être adressé à partir d'un retard de 4 mois ». Ainsi, au regard des statuts, la salariée pouvait toujours être considérée comme étant adhérente. Le syndicat ne pouvait déduire de l'absence de paiement de la cotisation depuis 2 mois que la salariée voulait se retirer du syndicat.

La décision aurait pu être cassée sur le fondement de l'article L2141-3 du Code du travail, à savoir le principe de la liberté syndicale négative : « tout membre d'un syndicat professionnel peut s'en retirer à toute instance même en présence d'une clause contraire ». Le tribunal aurait posé une exigence de formalisme contraire à ce principe.
La chambre sociale a cassé le jugement, mais au visa de l'article L2142-1-1, lequel renvoie aux conditions de constitution du syndicat. La Cour ne s'attache pas à la liberté syndicale et à la volonté de la salariée de s'affranchir ou non du syndicat. Elle semble se focaliser sur le non-paiement de sa cotisation.

« Attendu que, pour débouter la société de sa demande d'annulation de la désignation de A. comme représentant de section syndicale, le tribunal d'instance a retenu que le syndicat, qui n'avait pas exclu de ses adhérents une salariée de la société, ne disposait à la date du 6 juillet 2017 d'aucun élément pour interpréter les motifs de l'absence de paiement de cotisations par cette salariée depuis seulement deux mois, une négligence ou l'existence de difficultés financières ne pouvant pas être exclues, que le syndicat était ainsi fondé à considérer que la salariée était toujours adhérente et que la condition pour que la section syndicale soit formée de deux membres était remplie.

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il avait constaté qu'au jour de la désignation du représentant de la section syndicale le 6 juillet 2017, la salariée ne s'était pas acquittée de ses cotisations trimestrielles depuis février 2017, le tribunal d'instance a violé le texte susvisé. »

2 interprétations possibles de la solution de la Cour de cassation :

Interprétation 1 : pour désigner un RSS, un syndicat doit avoir au moins 2 adhérents (1), à jour de leur cotisation (2). Le paiement de la cotisation est une condition sine qua non de la qualité d'adhérent. En plus de la condition légale (le fait d'avoir au moins 2 adhérents), la chambre sociale viendrait ajouter une condition jurisprudentielle.
De plus, en pratique, il semble que les juges du fond vérifient que les adhérents invoqués par les syndicats soient à jour de leur cotisation (TI Courbevoie 13 juin 2017, TI Villeurbanne 23 octobre 2015, TI Marseille 28 octobre 2015 etc.). Et, il semble aussi que la Cour de cassation tienne compte de cet élément pour valider ou non les désignations de RSS (Cass. Soc. 10 février 2010,  n°09-60.159).

Interprétation 2 : il s'agirait d'un arrêt d'espèce, de sorte que l'absence de paiement de la cotisation soit interprétée comme la manifestation de volonté du salarié de se retirer du syndicat. Il ne s'agit pas de tenir compte des statuts.
Autrement dit, la salariée a indiqué que le non-paiement de sa cotisation était volontaire afin de ne plus être considérée comme adhérente, et cela ne résultait ni d'un oubli, ni d'une difficulté économique particulière. Ainsi, le tribunal aurait du en déduire qu'elle ne pouvait plus être considérée comme une adhérente.
Les faits étant particuliers, on peut se demander si la Cour aurait rendu une décision similaire en présence d'un adhérent ayant oublié de régler sa cotisation à la date de désignation du RSS. De plus, cet arrêt n'a fait l'objet que d'une publicité limité, de sorte à vraisemblablement écarté l'interprétation n°1.

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